AVIS DES SUNNITES
Celui qui commet un grave péché reste musulman et ne devient pas kâfir :
Si les sunnites refusent de considérer la réalisation un grave péché comme un facteur entraînant systématiquement la sortie de l'Islam, c'est notamment en raison de ces versets et Hadiths:
"Ô les croyants ! On vous a prescrit le talion au sujet des tués : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère aura pardonné en quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allégement de la part de votre Seigneur et une miséricorde. Donc, quiconque après cela transgresse, aura un châtiment douloureux."
(Sourate 2 / Verset 178)
Dans ce passage coranique, il est clairement énoncé que le lien de fraternité islamique est toujours présent entre celui qui se rend coupable d'un meurtre et les proches de sa victime… pourtant, l'homicide volontaire, comme indiqué précédemment, compte parmi les péchés les plus graves en Islam.
"Et si deux groupes de croyants se combattent, faites la conciliation entre eux. Si l'un d'eux se rebelle contre l'autre, combattez le groupe qui se rebelle, jusqu'à ce qu'il se conforme à l'ordre d'Allah. Puis, s'il s'y conforme, réconciliez-les avec justice et soyez équitables car Allah aime les équitables.
Les croyants ne sont que des frères. Établissez la concorde entre vos frères, et craignez Allah, afin qu'on vous fasse miséricorde. "
(Sourate 49 / Versets 9 et 10)
On constate ici que, même dans le cas où deux groupes de musulmans se combattent et s'entretuent, ils ne perdent pas pour autant leur qualificatif de "croyants" (mou'minîn) et qu'ils sont encore présentés comme étant des "frères"…
Oumar (radhia Allâhou anhou) rapporte qu'il y avait, à l'époque du Prophète Mouhammad
, un homme qui s'appelait Abdoullah et qu'on surnommait "himâr". Il avait l'habitude de faire rire le Messager d'Allah (sallallâhou alayhi wa sallam). Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) l'avait déjà frappé (auparavant, le punissant pour avoir consommé du) vin. On l'emmena encore un jour (après qu'il ait bu à nouveau); ordre fut donné et il fut battu (encore une fois). Un homme (présent dans) l'assemblée dit:
"Ô Allah ! Maudis-le! Il a été conduit ici tant de fois (pour avoir bu)… !" Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) répliqua alors:
"Ne le maudissez pas ! Par Allah, je ne connais de lui que (le fait qu)'il éprouve l'amour pour Allah et Son Messager." (Boukhâri)
En commentant ce Hadith, Ibn Hadjar
souligne notamment que :
* Il y a là une réfutation pour ceux qui considèrent que celui qui commet un grave péché devient incroyant; le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a en effet empêché qu'on maudisse cette personne (qui avait pourtant bu de l'alcool) et il a au contraire ordonné qu'on prie en sa faveur (suivant ce qui est rapporté dans d'autres versions);
* I est tout à fait possible que l'amour d'Allah et de Son Messager
soit présent dans le cœur de quelqu'un qui commet des péchés et des actes interdits;
* Celui qui commet des péchés de façon répétée, l'amour pour Allah et Son Messager
n'est pas retirée de son cœur… [8]
* Allah peut le pardonner et l'envoyer au Paradis [9], même s'il est mort sans se repentir, à partir du moment où il quitte ce monde avec l'imân :
Allah proclame dans le Qour'aane:
"Certes Allah ne pardonne pas qu'on Lui donne quelque associé. A part cela, Il pardonne à qui Il veut. Mais quiconque donne à Allah quelque associé commet un énorme péché."
(Sourate 4 / Verset 48)
Comme le rappelle Ibn Taymiyah
, dans ce verset, il est bien évidemment question de celui qui meurt sans se repentir. En effet, pour celui qui se repent avant de mourir, toute sorte de péchés, même le chirk, peut être pardonné, suivant ce qu'Allah annonce Lui-même dans un autre passage coranique:
"Dis : "Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d'Allah. Car Allah pardonne tous les péchés. Oui, c'est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux". Et revenez repentant à votre Seigneur, et soumettez-vous à Lui, avant que ne vous vienne le châtiment et vous ne recevez alors aucun secours."
(Sourate 39 / Versets 53 et 54)
Oubâdah Ibnous Sâmit (radhia Allâhou anhou) raconte qu'une fois, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit –alors qu'il était entouré d'un groupe de ses compagnons (radhia Allâhou anhoum):
"Prêtez moi serment d'allégeance que vous n'associerez rien à Allah, que vous ne volerez pas, que vous ne forniquerez pas, que vous ne tuerez pas vos enfants, que vous ne commettrez aucune infamie avec vos mains et avec vos pieds et que vous ne désobéirez pas en ce qui convenable. Celui d'entre vous qui respecte (cet engagement), son salaire est dû (auprès) d'Allah. Et celui qui fait une de ces choses et qui est ensuite châtié dans ce monde, ceci lui servira d'expiation. Et celui qui fait une de ces choses, puis Allah le dissimule (c'est-à-dire cache son péché dans ce monde), son sort (dépend) de Dieu: S'Il le veut, Il le pardonnera; et s'Il le veut, Il le châtiera." (Boukhâri)
Ibn Hajar écrit, après avoir cité ce Hadith:
"Al Mâziniy r.a. dit:
"Il y a dans ce Hadith (cité par l'Imâm Boukhâri r.a.) une réfutation des khâridjites qui rendent les gens incroyants à cause des péchés, ainsi (qu'une réfutation) des mout'azilites qui rendent nécessaire le châtiment du fâsiq (celui qui a commis des péchés graves) et qui meurt sans repentir, car le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a informé (au sujet d'une telle personne) qu'il est soumis à la volonté divine, et il (sallallâhou alayhi wa sallam) n'a pas dit: Il est nécessaire qu'Il le châtie." Et At Tîbiy r.a. a dit pour sa part :
Il y a dans ce Hadith une indication concernant le fait de s'abstenir de témoigner en faveur d'une personne qu'elle ira dans le Feu (de l'Enfer) ou au Paradis, sauf s'il y a une référence qui explicite ceci au sujet de quelqu'un de précis… " [10]
Abou Dharr (radhia Allâhou anhou) rapporte que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhis salâm) a dit:
Djibril est venu me rencontrer et m'a annoncé la bonne nouvelle (suivante:) "Quiconque de ta oummah meurt sans associer quoique ce soit à Allah entrera au Paradis." Je lui ai demandé: "Même s'il a fait le zinâ et s'il a volé ?..." Il répondit: "Même s'il a fait le zinâ et même s'il a volé !...". (Boukhâri et Mouslim)
Oubâdah Ibnous Sâmit (radhia Allâhou anhou) a: J'ai entendu le Messager (sallallâhou alayhi wa sallam) dire
"Celui qui témoigne que personne n'est digne d'adoration à part Allah et que Mouhammad est le Messager d'Allah, Dieu interdit pour lui le (châtiment du) Feu." (Mouslim)
Ces deux derniers Hadiths, comme de très nombreux autres, montrent bien que la profession de foi musulmane entraîne nécessairement:
* L'accès au Paradis, que ce soit immédiatement ou après avoir passé quelques temps en Enfer pour être purifié de ses péchés,
* La protection contre le Feu de l'Enfer, c'est-à-dire contre le séjour éternel dans le djahannam (le mou'min qui a commis des péchés, s'il n'est pas pardonné par Allah, pourra cependant passer quelques temps dans le Feu – qu'Allah nous en préserve tous-, mais son séjour là bas sera temporaire…)
Il devient cependant un fâsiq et son péché a pour conséquence d'affaiblir son imân : L'acte de désobéissance porte cependant préjudice à l'intégrité du imân : C'est ce qui a été clairement exprimé dans certains Hadiths, parmi lesquels on pourrait citer le suivant à titre d'exemple:
"Le fornicateur ne reste pas croyant au moment où il fornique; le voleur ne reste pas croyant au moment où il vole; le buveur ne reste pas croyant au moment où il consomme l'alcool." (Boukhâri et Mouslim)
L'Imâm Nawawi
rappelle dans son commentaire du Sahîh Mouslim que, selon l'interprétation la plus juste (celle défendue par les experts), cette Tradition authentique signifie que lorsqu'un musulman commet un des péchés cités, son imân n'est plus complète: Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou) disait en effet que, en de telles occasions, la lumière de la foi est extraite du cœur du musulman… [11]
"Koufr i'tiqâdiy" et "Koufr 'amaliy"…
Il subsiste néanmoins une question importante par rapport à l'avis des sunnites développé plus haut : Comment comprendre les multiples références où des actes de désobéissance ont été carrément été qualifiés de koufr ?...
C'est le cas notamment dans les Hadiths suivants:
1-
"Injurier un musulman est un péché (fousoûq); le combattre est (un acte de) koufr." (Boukhâri et Mouslim)
2-
"Lorsqu'un homme dit à son frère: "Ô kâfir !", alors l'un d'entre eux retourne avec ce titre." (Boukhâri et Mouslim)
3-
"Celui qui jure au nom d'autre qu'Allah, il a fait le koufr." (Mousnad Ahmad – Authentifié par Albâni r.a.)
A cette question, les savants sounnites répondent que, s'il est vrai que le terme koufr désigne la plupart du temps l'incroyance ("al koufr oul akbar" ou "al koufr oul i'tiqâdiy), c'est-à-dire la perte totale de la foi et l'exclusion de l'islam,
il est néanmoins parfois employé pour désigner des péchés graves ("al koufr oul asghar" ou "al koufr oul 'amaliy") qui ont pour conséquence d'affaiblir le imân, sans pour autant le faire disparaître complètement, ni entraîner la sortie de l'individu qui le commet de l'islam : C'est justement avec ce second sens qu'il est utilisé dans les textes cités ci-dessus.
L'Imâm Tirmidhi
, après avoir cité dans son ouvrage de Hadith la première des trois Traditions (celle rapportée par Ibn Mas’oûd (radhia Allâhou anhou), écrit :
Le sens du (mot "koufr" dans) la phrase "le combattre est du koufr" n'est pas une incroyance comparable à celle (dans laquelle se trouve la personne) qui apostasie; la preuve en est que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a dit au sujet de celui qui a été tué délibérément que sa famille a le choix: Soit ils (réclament) l'exécution de l'assassin (et l'application du talion), soit ils le pardonnent… Et si jamais le meurtrier était devenu incroyant, il aurait été nécessaire (de le tuer). Et il a été rapporté de Ibnou Abbâs (radhia Allâhou anhou), de Tâoûs r.a., de Atâ r.a. et de plus d'un savant qu'ils ont dit: "Il existe un "koufr" moindre que le "koufr" (n.t. dans son sens absolu, l'incroyance) , un "fousoûq" moindre que le "fousoûq"… [12]
Ce "koufr" d'une moindre gravité que l'incroyance à laquelle Ibn Abbâs (radhia Allâhou anhou) et d'autres ont fait allusion est justement ce qui a été désigné sous l'appellation de "koufr amaliy", les péchés graves.
Il convient de souligner cependant qu'il existe certains actes qui suffisent pour entraîner l'apostasie (irtidâd), et ce, parce qu'ils expriment sans aucun doute que celui qui les commet n'a pas l'imân dans son cœur et qu'il n'est pas musulman : C'est le cas par exemple de la prosternation devant une idole, du fait de jeter un exemplaire du Qour'aane dans les ordures (ou de l'abandon volontaire et sans raison valable d'une prière rituelle obligatoire, selon l'avis de l'Imâm Ahmad r.a….)
Attention à la nuance entre le "koufr" et le "takfîr"…Avant de conclure avec cette question, il est important de bien comprendre que s'il est vrai que le fait de considérer licite ce que Dieu a interdit (ou de remettre en question une obligation divine établie de façon formelle) entraîne également le koufr akbar (l'incroyance) [13] ,
il faut cependant faire extrêmement attention avant de décréter au sujet d'une personne précise qui adopterait une telle attitude (ou qui tiendrait d'ailleurs des propos remettant en question n'importe quel point qui est nécessairement connu comme faisant partie de l'Islam ("ma'loûm minad dîn bidh dharoûrah"), comme par exemple la négation des attributs divins, ou la croyance que la Parole d'Allah est créée…) qu'elle a forcément apostasié et qu'elle est donc sortie de l'Islam… Il est en effet possible qu'il y ait dans son cas particulier la présence de certains facteurs (mawâniout takfîr) ou l'absence de certaines conditions (charâit out takfîr) qui empêchent cela. Il se peut, par exemple, que :
* La personne concernée n'ait pas eu connaissance des textes contenant le point qu'elle renie (elle vient de se convertir par exemple, ou elle vit dans un lieu éloigné des enseignements de l'Islam…);
*E lle ait eu connaissance de ces textes mais d'une façon telle qu'il ne lui était pas nécessaire de croire en leur véracité;
*E lle était convaincue que le sens de ces textes était autre, ayant été victime d'un malentendu dans leur interprétation;
C'est pour cette raison qu'il est nécessaire de prendre toutes les précautions possibles avant de prononcer le "takfîr" (décret d'apostasie) d'une personne précise, en s'assurant justement que celle-ci ne peut bénéficier d'aucune circonstance atténuante pouvant excuser son attitude ("la youkaffarou illâ ba'da iqâmatil houddjah wa izâlatich choubhah"). [14]
Wa Allâhou A'lam !
Et Dieu est Plus Savant !